Extraits de textes Le Sang de Duke

Extrait 1

Max :
Les lumières s’éteignent tôt ce soir. Les vieux aiment bien raconter ce moment.

Le patron :
Seuls les rats crapahutent à cette heure.

Max :
Quand le noir s’abat sur les quais, le fleuve a l’air d’un énorme ver qui respire.

Le patron :
Tu devrais rentrer chez toi Max.

Max :
C’est ici chez moi, c’est là que je me sens bien.

Le patron :
Rien ici n’appartient à quiconque d’entre vous. C’est moi qui décide de tes horaires. Tu le sais Max. Ne fais pas l’imbécile et rentre chez toi.

Max :
La nuit n’appartient qu’à elle-même. Elle donne sa clarté à ceux qui la désirent.

Le patron :
L’éclat de l’argent que je te donne t’illumine autrement la gueule.

Max :
La boue n’a pas de reflet.

Le patron :
Celle qui sèche sur ton front est plus ignoble encore.

Max :
Votre argent est éclaboussé de sang.

Le patron :
Tu serais prêt à lécher ce sang pour gagner un billet.

Max :
Vous n’avez pas le pouvoir de juger.

Le patron :
Je suis ton juge et ton propriétaire.

Max :
Pourquoi Robert a fermé si tôt ?

Le patron :
Tu parles trop. Ta langue sera ta perte. Tu dois t’arrêter quand je commande.

Max :
Je suis l’employé. Vous êtes le chef. C’est vrai. Mais ce soir, à cette heure tu es seul sans garde, sans salaire et sans argent dans les mains. Juste deux hommes.

Le patron :
Tant que nous sommes sur le dock, tu me dois le respect.

Max :
Une cargaison personnelle, un petit business dont on veut nous écarter… un cargo qui préfère traverser les passes entre deux et trois heures. A l’heure de la relève des rondes.

Le patron :
Je t’avais proposé un marché. Tu l’as refusé. Ne m’oblige pas à t’écarter de mon chemin.

Max :
Passe-le ton chemin. Tu es sur le mien.

Le patron :
Le port est à moi.

Max :
Et à ton frère.

Le patron :
Son sang a coulé dans le fleuve.

Max :
Son sang est ton sang. Ils tacheront le même linceul.

Le patron :
Les rats te boufferont.

Max :
Les rats me respectent. A chacun son royaume.

Extrait 2

Duke :
Mon cher frère, voici donc enfin venu ce moment que j’ai tant attendu. Je ne doutais pas de toi. Je savais que ta pourriture finirait par se répandre comme une coulée d’essence sur tout le dock, mais je ne te croyais pas capable de faire monter la haine en d’autre que moi. J’arrive sans me douter que d’autres ici ont déjà comploter ta mort. Il ne faut pas qu’ils me la volent. Non il ne faut pas. Mais je saurais les tenir à distance. Ces écorchés ne réclament que du sang. Peu leur importe d’où il peut venir. Ma chère je te fais confiance pour leur en donner assez de barriques. Ma chère compagne fais avec moi le serment qu’ils en auront assez pour se saouler, qu’ils seront bientôt gorgés et repus de tout le sang de la terre s’ils le désirent, mais pas de celui qui m’est réservé.

Max :
Je ne reconnais pas l’émotion qui monte en moi. Mais je sais qu’elle me dit qu’il faut laisser faire ma haine et mon envie. Envie de te voir pendu par les pieds, la gueule ouverte comme un porc aux abattoirs, toi que la richesse a rendu si sûr de toi et de ton pouvoir. Comment as-tu pu croire qu’on pouvait régner sur un tas d’immondices ? Je te volerai ce qui finalement n’appartiens qu’à celui qui le désire le plus. Ma haine d’où qu’elle vienne m’y aidera. Je dis que ceux qui me haïssent vont plier sous une haine plus grande que la leur. Ma haine modèlera mon visage, elle fera pâlir la mort elle- même. Que ma haine me donne une main…

Le patron :
Ma vengeance ne peut plus m’échapper. Duke est enfin revenu avec tout ce qu’il possédait c’est-à-dire rien si ce n’est sa haine. C’est elle qui l’aveugle et qui va le détruire. J’ai dû mal à maîtriser mon émotion. Un chien de chasse le nez sur le sol traque les bêtes, attaché au bout d’une laisse il flaire les traces d’un sanglier qui est déjà loin. Le chien obéit au doigt et à l’œil – sans aboyer il explore le terrain puis soudain le gibier est tout prêt. Le chien tire sur sa laisse, il aboie pour que son maître le lâche, il veut s’échapper. Je suis ce chien. Ma colère a flairé l’odeur du sang. Je ne peux plus le dissimuler et pourtant il le faut.