D’Erri de Luca
Lecture à deux voix
Le texte :
Sous la forme d’une succession de poèmes, Aller simple — Solo andata en italien — conte l’épopée tragique d’un groupe de migrants tentant de rejoindre le sol italien. Du sable brûlant à la mer impitoyable, nous suivons ces figures qui affrontent la faim, la violence de la nature et celle des passeurs. Cette succession de vers fait écho aux nombreuses histoires tristement singulières, au destin des désespérés qui affrontent la Méditerranée jusqu’à nos côtes européennes.
Si Aller simple évoque d’abord l’épopée tragique des migrants qui tentent de rejoindre le sol italien et le destin des désespérés qui affrontent la violence de la mer et de l’indifférence, on y lira bien plus qu’un plaidoyer militant. La poésie de De Luca, portée par son humanisme engagé, proche dans sa sobriété et sa ferme clarté de celle de Primo Levi par exemple, trouve aussi son propos, comme son œuvre en prose, dans l’évocation de la guerre, de l’amour, de la liberté perdue, de la terre d’Italie et n’exclut pas l’expression heureuse de l’existence dans sa sensualité.
Crédit photographique : Pierre Planchenault
Presse : Yves Kafka, La Revue du spectacle, 5 mai 2022
Aller simple d’Erri de Luca, poète napolitain.
Faisant face à nous, témoins « éclairés » du drame à venir, un comédien à la stature de tragédien (Daniel Strugeon) prenant place sur une pauvre chaise et un autre (Éric Chevance) semblant prendre appui sur son impressionnante contrebasse, délivrent en parfait accord les chants de ce long poème lyrique. Avec une précision clinique, portées par la force de leur interprétation, les images s’imposent, prennent possession de notre espace psychique pour nous percuter, rendant toute fuite vaine. Ainsi, un à un, s’inscrivent en lettres de feu les jours de l’odyssée tragique de ces hommes, femmes et enfants venus d’Afrique, chassés de leurs terres brûlées par le soleil, fuyant leur sol dévasté par les guerres, pour tenter l’impossible voyage vers leurs terres promises, les rivages de l’Italie.
À la violence des éléments naturels – les pieds mis à vif par le sable ardent du désert, les corps frigorifiés par les morsures des vagues – s’ajoute la cruauté naturelle des passeurs n’hésitant pas à tirer à bout portant à la moindre rebuffade. L’impact est d’autant plus fort que les mots sont taillés à la serpe, refusant tout arrangement avec la vérité vécue. Des sandales usées jusqu’à la corde, recousues avec des os pour aiguilles, de l’odeur aimée du thé des Berbères sur la plage, de celle effrayante de la mort émanant des corps des passeurs, de la mer aux eaux sauvages, les mots se bousculent charriant leur charge d’émotions.
De la salle éclairée interdisant tout recours aux issues de secours, on partage le drame vécu par ses malheureux s’entassant les uns contre les autres sans même pouvoir s’allonger, ne jetant pas les morts à la mer pour que les corps des défunts les protègent de la morsure du froid. On ressent avec eux le soulagement d’envoyer par le fond les passeurs les tirant à bout portant comme de vulgaires lapins. On lèche avec eux la rosée du matin déposée miraculeusement sur le bois des rames afin d’apaiser la morsure du sel qui, manquant sur les Hauts Plateaux, s’est déposé là en croûtes épaisses.
Et, de Charybde en Scylla, on partagera le sentiment d’infinie révolte de ceux qui, parvenus sur les rivages rêvés, se verront parqués dans des centres de rétention, ces camps d’internement réservés aux personnes issues de l’immigration illégale avec promesse de retour au pays, eux qui sont pourtant des allers simples… Au son des notes discrètes s’échappant de la contrebasse, les voix des comédiens s’enflent pour devenir la voix de tous les migrants. Notre voix se mêlant alors aux leurs.
Biographies :
Après un parcours à la tête de différents établissements culturels, Éric Chevance est aujourd’hui enseignant en études théâtrales à l’Université Bordeaux-Montaigne. Il est engagé dans plusieurs associations, dont le Collectif Bienvenue qui développe des actions en faveur des réfugiés. Il est l’auteur de : L’Arrivant et l’autre, en collaboration avec Michel Richard (L’Ire des Marges, 2018), L’argent public, à quoi ça sert ? #1 (N’a qu’1 oeil, 2018), Qu’allons-nous faire de nos colères ? Journal 2013-2017 (L’Ire des Marges, 2020), 3 leporellos, fragments 2018 – 2022 (L’Ire des Marges, 2022)
Daniel Strugeon entame son parcours de comédien dans la rue, dans les années 1980. Au fil des ans, il travaille régulièrement avec Jean-Luc Terrade (Pinget, Feydeau, Beckett, Molière et diverses créations), ainsi qu’avec Jean-Luc Ollivier (Racine, Müller), Monique Garcia (Melquiot), Véronique Vidock (Dagerman), Fabrice Dugied (Duras)…, Benjamin Ducroq (Tchekhov), Matthieu Boisset (créations diverses)…
Aller Simple est joué depuis avril 2019.
2019 Cercle de Pompéjac (33) – Bienvenue
2019 La Grave (05) – Rencontres de Haute Romanche
2021 Villa Valmont – Lormont (33) – Littérature en jardin
2022 Escale du Livre – Bordeaux (33)
2022 Atelier des Marches – Le Bouscat (33)
2022 Bordeaux (33) – CGT
2022 Cenon (33) – fête du NPA
2022 Rocca Sinibalda (Italie) – Creative Commune
Aller Simple est publié en version bilingue aux éditions Gallimard, traduction de l’italien de Danièle Valin.
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